Audit d’écoconception d’un service numérique existant : l’exemple de Vamos
2024-07-08
Dans un contexte où la durabilité devient un axe essentiel des entreprises et des collectivités, l'éco-conception des services numériques apparaît comme une étape incontournable au sein des DSI. Alors que la nouvelle version du RGESN (Référentiel Général d'Éco-conception des Services Numériques) vient tout juste d’être publiée, nous allons mettre en lumière la manière dont nous nous en sommes emparés chez Extia, en partageant le retour d'expérience d'un audit de service numérique que nous avons réalisé.
À rebours des études de cas portant sur l'éco-conception de nouveaux services numériques, nous avons ici choisi d'auditer un service existant, Vamos. Cet outil, développé en interne depuis plusieurs années, a pour objectifs principaux de faciliter le suivi des relations client, de gérer les recrutements et la vie d’entreprise. Cet exercice vise donc à en réduire l'impact environnemental global en améliorant l'existant, plutôt qu'en ajoutant une nouvelle couche de numérique éco-conçue.
À travers cet article, nous partagerons notre méthode, nos découvertes, les leçons tirées de cette expérience, en espérant inspirer d'autres entreprises à suivre une voie similaire.
Définition du contexte et des objectifs de l'étude
Notre volonté étant de mettre le numérique au service d'un progrès durable et inclusif, il était donc naturel de passer Vamos à la moulinette et d'évaluer son caractère éco-conçu. Afin de réaliser cette étude, nous nous sommes basés sur deux outils reconnus :
Le RGESN (Référentiel Général d'Écoconception des Services Numériques), qui fournit un ensemble de 70 critères techniques et organisationnels à évaluer, couvrant tous les métiers contribuant à la création d'un service numérique : Architectes, UX Designers, Ops, Développeurs, Directions métier, etc
L'EcoIndex, un outil permettant d'évaluer rapidement les impacts environnementaux de pages web. Nous avons complété cet outil par des données de nos fournisseurs pour évaluer d'autres impacts, comme les mails envoyés.
Un audit d’écoconception en 3 étapes :
1. Définir les unités fonctionnelles à étudier pour mesurer l'impact du service
L'écoconception, inspirée des méthodologies d'Analyse de Cycle de Vie, s'intéresse davantage aux fonctions métier qu'à un site web ou une application mobile. La première étape de l'étude a donc consisté à analyser les différentes Unités Fonctionnelles (UF) de Vamos, en échangeant avec les Directions Métier concernées.
De ces grandes fonctions découlent les parcours utilisateurs à réaliser et les pages à auditer, une à une, avec EcoIndex. Une fois ces métriques obtenues, il est possible de les additionner pour évaluer l'impact d'un parcours utilisateur complet, et même du service global sur l'année.
2. Évaluer à 360° l'éco-conception du service
Pour évaluer la maturité de l'organisation à l’aide du RGESN, nous avons planifié des échanges avec chaque partie prenante du développement afin d’examiner avec elles les différents critères du référentiel. Cette première évaluation a ensuite été affinée en fonction des mesures réalisées sur le service numérique, pour corroborer ou infirmer certains constats.
3. S'insérer dans une feuille de route à moyen terme
L'objectif de notre audit n’était pas simplement de dresser un état des lieux, mais aussi de proposer des évolutions du service et des chantiers actionnables. Nous avons donc échangé avec la direction du projet et les différents sponsors pour comprendre quelles étaient les prochaines évolutions prévues. Nous les avons classés selon leur impact en termes d’éco-conception (favorables, défavorables ou neutres). Ces échanges nous ont également permis de planifier les actions techniques nécessaires pour limiter l'impact environnemental du service.
Résultats de l’étude
Nous avons étudié une dizaine d'Unités Fonctionnelles (ou parcours utilisateurs), couvrant 41 pages web distinctes. L'impact des mails envoyés par l'application a également été inclus dans notre analyse.
1. Analyse des pages web
En moyenne, l'EcoIndex des pages auditées est de 68.5, correspondant à une note de C. C’est au-dessus de la moyenne des pages web utilisées pour calibrer l'EcoIndex, qui peut aller jusqu’à la note de G. Dans l’ensemble, chaque page nécessite 35 requêtes pour s'afficher, contient 420 éléments dans son DOM, et pèse 1.4 Mo.
La page la plus optimisée obtient un EcoIndex de 84 (A), tandis que la moins performante affiche un EcoIndex de de 52 (D).
Vamos étant développé comme une Single-Page-Application (SPA), la première page a souvent un impact un peu supérieur, tandis que les pages suivantes sont relativement légères, n'ayant que peu de données à charger.
2. Impact environnemental
En termes d’impact environnemental, le parcours utilisateur le plus simple dispose d'une empreinte de 1.4 gCO2e et de 2.18 cl d'eau, tandis que le plus complexe en produit 38 gCO2e et consomme 29.5 cl d'eau. Ces chiffres incluent l'envoi des mails, pour lesquels nous ne disposons que des facteurs d'émissions de CO2.
Sur une année, l'empreinte environnementale de Vamos est estimée à 703 kg de CO2e, ce qui équivaut à parcourir 5 865 km en voiture thermique. Les mails représentent environ 40% de cet impact.
3. Maturité RGESN
En ce qui concerne le volet RGESN, nous avons évalué 75 critères sur 79, obtenant une maturité globale de 56%. Ces résultats montrent que, bien que Vamos soit déjà en avance sur certains aspects, il reste des marges de progression en termes d'éco-conception.
Quels enseignements retire-t-on de cet audit sur l’éco-conception?
1. Une application éco-conçue est avant tout une application de qualité
L'audit que nous présentons est le premier que nous avons mené sur Vamos, au sein d'une équipe qui n'avait pas encore été sensibilisée à cette question.
De prime abord, il peut apparaître surprenant que le niveau de maturité soit déjà de 56% au regard du RGESN, et que la majorité des pages auditées aient un EcoIndex supérieur à la moyenne.
Cela s'explique par le fait que l'une des clés de l'éco-conception est avant tout de permettre à chaque acteur du projet de réaliser un travail de qualité. Le travail sur l'UX de l'application et les parcours utilisateurs a permis d'en minimiser les étapes, réduisant ainsi logiquement les impacts environnementaux. Le fait que l'application soit à destination d'un métier, dont le besoin fonctionnel a été correctement cadré, a également permis d'éviter le développement de fonctionnalités inutiles, alourdissant les pages.
Les bonnes pratiques du RGESN sont souvent des bonnes pratiques de développement, comme la minimisation des requêtes serveur lors de la saisie utilisateur (utilisation d'un debounce sur les auto-complétions par exemple), la validation au plus tôt des formulaires, la compression des ressources transférées, etc.
Le simple fait de donner à une équipe de développement le temps et les ressources pour faire un travail de qualité est donc l'une des premières conditions pour permettre de réduire l'impact environnemental d'un service numérique.
2. Minimiser les traitements et le stockage des données, y compris les mails
Lors de la conception d'une application, une attention particulière est portée sur la gestion de la donnée : comment la capter, la traiter, la stocker, la faire connaître et l'exploiter correctement. Cela conduit souvent à adopter une approche maximaliste : en communiquant le plus largement possible, via des mails par exemple, et en conservant la donnée aussi longtemps que possible.
Le RGPD a encouragé les entreprises à penser à l'anonymisation des données collectées après un certain temps. Le RGESN nous pousse à aller plus loin en envisageant la suppression des données obsolètes. La réflexion sur la fin de vie de la donnée est souvent un angle mort des stratégies de développement, alors qu'elle peut être justifiée de multiples façons : respecter la législation, minimiser le coût de la base de données, et donc limiter son empreinte environnementale.
Sur Vamos, nous avons amorcé une réflexion pour comprendre quelle utilisation pouvait être faite d'une ancienne donnée, par exemple pour la traçabilité ou d'indicateurs agrégés, afin de réduire son volume.
Une autre utilisation de la donnée à laquelle nous avons été confrontés est l'envoi de mail systématique, et assez peu ciblés. Alors que nous sommes les premiers à reconnaître que l'impact environnemental des mails n'est pas le principal sujet en Numérique Responsable, et que leur suppression n'a qu'un impact marginal, il faut également reconnaître que l'envoi massif de mails non ciblés peut être révisé pour éviter des impacts environnementaux inutiles.
3. On ne peut agir que sur ce qu'on mesure
Le dernier enseignement que nous pouvons tirer de cet audit est l’importance primordiale de mesurer l'impact environnemental, de le suivre régulièrement, et de fixer des limites afférentes pour guider les actions.
Fixer une limite de poids de page à 1 Mo, par exemple, permet aux développeurs d'orienter leur choix de technologies vers des solutions plus légères, en évitant les framework CSS les plus lourds ; et de détecter rapidement les optimisations possibles sur des médias.
Autre exemple, sur l'une des pages principales de Vamos, pesant 4.2 Mo, nous avons estimé qu'une conversion d'images vers un format WebP, en limitant leurs dimensions à celles de leur affichage réel, pouvait à elle seule faire économiser 3 Mo de données transférées.
La mesure permet également de se fixer des objectifs réalistes. Pour les pages avec un EcoIndex de D, nous avons estimé qu’avec 3 actions simples (optimisation des images, utilisation d'une police d'écriture standard, retardement du chargement de certaines ressources), il était possible d'atteindre un EcoIndex de C.
Les indicateurs de suivi ne sont pas uniquement techniques (comme le poids de page) ou environnementaux (comme les émissions GES ou l’EcoIndex). Ils peuvent également être économiques, via une démarche FinOps. En effet, les outils de “calculette carbone” fournis par les Cloud Providers comme Azure, AWS ou GCP se fondent sur le montant facturé à leur client pour estimer les émissions de gaz à effet de serre associées, en y appliquant un coefficient d’émissions par euro dépensé. Dans le Cloud, maîtriser le montant de sa facture revient ainsi à maîtriser son empreinte carbone.
Conclusion
L'audit que nous avons réalisé sur Vamos révèle que l’application se situe légèrement au-dessus de la moyenne des applications web classiques en termes de maturité et d'impact environnemental. Malgré ces avancées, il reste encore des marges importantes de progression. Des actions simples pourraient nous permettre d’améliorer significativement notre classement dans l’Ecoindex.
L'engagement de notre équipe de développement envers la qualité logicielle a déjà permis de franchir une partie du chemin vers une application éco-conçue. Maintenant, il est crucial de maintenir ce niveau de qualité tout en intégrant des réflexions sur la minimisation des données et la gestion des mails pour orienter les développements futurs et ainsi réduire significativement l'impact environnemental de notre solution.