Quand un trop-plein de bienveillance alourdit le kit managérial
2021-09-29
Chronique | Des voix commencent à s'élever contre la fabrique du bonheur et son appropriation par le politique et l'entreprise.
Ainsi, le nouveau manager se devrait désormais d’être bienveillant, à l’écoute, participatif etc. Cette vision contemporaine du management a achevé de déstabiliser les modèles traditionnels du « Command & Control », sans pour autant fournir les clés d’un nouveau modèle à des managers soumis à des injonctions contradictoires. On ne peut que se réjouir d'un humanisme désormais assumé dans les relations de travail ; on peut également s’interroger sur l’origine et les limites de cette approche en apparence vertueuse.
La figure du manager n’échappe pas à la crise profonde de l’autorité qui a gagné la sphère de l’entreprise. Dans ce nouveau dogme, faire acte d’autorité tiendrait davantage de l’aveu d’échec, de l’impuissance à susciter l’adhésion, que d’une prérogative accordée à la figure traditionnelle du chef. La seule autorité acceptable serait désormais celle qui vient réguler le collectif et veille à l’épanouissement des individus ; c’est notamment ce que sous-entend la notion de servant leadership -le manager au service de - et ce que prônent de nouvelles formes d’organisation, à l’instar du concept d’entreprise libérée (Carney & Getz, 2009). Avec en toile de fond, le spectre de la robotisation et du remplacement de l’homme par la machine et du management par l’auto-régulation. Les salariés qui sont managés seraient ceux dont le poste va être automatisé, tandis que ceux qui s’approprient le travail n’auraient plus besoin d’être managés (Godin, 2020).
Cette vision du manager n’est pas étrangère à l’injonction contemporaine du bien-être. Un impératif tel que 84% des français avouent réprimer leurs émotions pour paraître heureux, selon une étude menée en juillet dernier par Appinio. Des voix commencent à s’élever contre la fabrique du bonheur et son appropriation par le politique et l’entreprise. Parmi elles, Yves Michaud appelle à « dénoncer la tyrannie des bons sentiments, la politique de l’émotion et de la compassion. Non que la bienveillance soit un sentiment indigne mais nous devons cesser de croire qu’on peut bâtir sur elle une communauté politique. ». Pour le philosophe, la bienveillance, cette disposition affective à vouloir le bien des autres, ferait courir le risque de faire primer l’individu sur le collectif. A trop considérer la singularité, le manager en perdrait-il de vue les notions d’équité et d’égalité de traitement ? A l’heure du télétravail et de la personnalisation des modes de travail, la question de l’égalité est pourtant fondamentale pour préserver le collectif et la confiance en l’institution.
Retrouvez l'intégralité de cette chronique sur le site Les Echos ou sur le LinkedIn d'Emmanuelle Pays.